Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

raymond aron - Page 2

  • La grande leçon politique de Julien Freund...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Bernard Quesnay , cueilli sur le blog Éléments et consacré à la pensée politique de Julien Freund, qui avait été publié initialement en 2003 dans la revue Éléments.

     

    Julien Freund.jpg

    La grande leçon politique de Julien Freund

    Philosophe, sociologue et politologue, Julien Freund nous a quittés il y a presque vingt-trois ans, le 10 septembre 1993, laissant une œuvre riche et variée portant tout à la fois sur le droit, la politique, l’économie, la religion, l’épistémologie des sciences sociales, la polémologie, la pédagogie ou l’esthétique. Mais il s’est surtout attaché à élucider ce que Paul Ricœur appelait les paradoxes de la politique. Marqué avant la guerre par une conception idéaliste de la politique, Freund a perdu ses illusions durant ses années de Résistance et pendant son engagement politique et syndical qui a suivi la Libération. Ce sont les déceptions causées par les réalités de la pratique politique qui l’ont amené à étudier ce qu’est réellement la politique, c’est-à-dire à découvrir ce qui se cache derrière le voile hypocrite de certaines conceptions moralisantes. C’est de cette volonté de rechercher et décrire la véritable nature du politique, au-delà des contingences historiques et idéologiques, qu’est né L’essence du politique, son opus magnum publié en 1965.

    À l’encontre des idées reçues de son époque, Julien Freund a osé affirmer et démontrer dans L’essence du politique1 qu’il existe une pesanteur insurmontable du politique et qu’il est illusoire d’espérer sa disparition. Il a résumé cette idée dans la formule : « il y a des révolutions politiques, il n’y a pas de révolution du politique »2. Cette affirmation, apparemment toute simple, a des conséquences philosophiques innombrables.

    La pensée politique de Freund repose sur l’idée qu’il existe une essence du politique. Cela signifie, d’une part, que l’homme est un être politique, d’autre part, que la société est une donnée naturelle et non une construction artificielle de l’homme3. De ce point de vue, l’auteur de L’essence du politique se place dans la lignée d’Aristote et en opposition aux différentes théories du contrat social héritières de Hobbes. Il en découle une certaine conception des rapports entre la société et les individus qui la composent.

    La société est comprise comme une condition existentielle de l’homme : comme tout milieu, elle lui impose une limitation et une finitude. C’est-à-dire qu’il incombe à l’homme, au moyen de l’activité politique, de l’organiser et de la réorganiser sans cesse en fonction des évolutions de l’humanité et du développement des diverses activités humaines. Pour Freund, la société est donc « donnée », en même temps que l’homme, qui, de son côté, est doué d’une « sociabilité naturelle ». L’idée d’un « état naturel », qui supposerait une humanité asociale, n’a donc pour lui aucune signification. Elle ne peut avoir de sens qu’en tant qu’hypothèse, comme une « utopie rationnelle » qui permettrait de mieux comprendre la société et de montrer ce qu’il y a en elle de conventionnel.

    Une vision fondamentalement conflictuelle de la société
    À cause de l’utilisation du terme d’« essence », on a souvent parlé, au sujet de la philosophie de Julien Freund, « d’essentialisme », entendant par là qu’il enfermerait la politique dans un immobilisme qui serait étranger à sa nature. Il faut ne pas avoir lu Freund pour penser cela. Toute son ambition théorique était de réhabiliter la distinction des genres, qui repose sur l’idée d’une autonomie des différentes activités humaines, chacune de ces activités ayant sa propre finalité et ses propres moyens. La finalité de la science ou celle de l’art n’est pas la même que celle de la politique ou de la religion. Sa théorie était notamment une manière de réagir contre les idéologies ou les doctrines systématiques qui tentaient d’expliquer toutes les activités humaines par une activité première, qu’il s’agisse de l’économie (comme dans le marxisme), de la politique ou de la religion. C’est pourquoi, lorsque Freund affirme que le politique est une essence, cela signifie qu’il n’est qu’une essence, c’est-à-dire une activité humaine parmi d’autres comme la religion, la morale ou l’économie. Le sociologue qu’il était n’envisageait aucunement l’existence humaine uniquement sous l’angle politique, en faisant abstraction de ces autres activités. S’éloignant des travers du machiavélisme doctrinal, il ne concevait pas non plus la politique comme une fin en soi, mais comme une activité au service des autres aspirations de l’homme (esthétiques, religieuses, métaphysiques, etc.), renouant ainsi avec la philosophie aristotélicienne.

    Sa théorie politique est fondée sur une vision fondamentalement conflictuelle de la société, selon laquelle celle-ci est traversée par des tensions et des antagonismes entre les différentes activités humaines qu’aucune rationalisation, aucune utopie ne pourra vaincre définitivement. Comme Vilfredo Pareto4, il pense que l’ordre social est fondé sur un équilibre plus ou moins sensible entre ces forces antagonistes. Certaines forces tendent à stabiliser l’ordre social, d’autres à le déstabiliser et le désorganiser pour instaurer un ordre meilleur. L’équilibre sur lequel repose cet ordre ne peut jamais trouver de solution définitive, mais seulement un compromis ; et c’est précisément au politique qu’il appartient de le maintenir, notamment au moyen de la contrainte. C’est pourquoi l’ordre politique est déterminé pour une large part par le jeu dialectique du commandement et de l’obéissance.

    Un obstacle insurmontable à un État universel
    Il faut préciser que, comme toute activité, la politique possède des présupposés, c’est-à-dire des conditions constitutives qui font que cette activité est ce qu’elle est, et pas autre chose. Pour Freund, ces présupposés sont au nombre de trois : la relation du commandement et de l’obéissance, la distinction du privé et du public, et la distinction ami-ennemi5. Tous les trois témoignent de la dynamique conflictuelle qui est à l’œuvre dans la société.

    La relation du commandement et de l’obéissance constitue le présupposé de base du politique, c’est elle qui caractérise véritablement le politique, car elle introduit la relation hiérarchique entre gouvernants et gouvernés. Héritier de Weber, Freund voit dans le commandement un phénomène de puissance. C’est cette puissance qui façonne la volonté du groupe et assure l’existence du domaine public. On comprend alors pourquoi la théorie politique de Freund redonne à la souveraineté toute sa dimension politique en la présentant comme un phénomène de puissance et de force, et non comme un concept essentiellement juridique. Pour autant, Freund ne fait pas de la puissance le but du politique. Chez lui, comme chez Hobbes, puissance et protection vont de pair : la puissance est au service de la protection de la collectivité, car il ne faut pas oublier que la finalité de la politique, c’est la sécurité face à l’extérieur et la concorde à l’intérieur.

    La distinction du privé et du public est le présupposé qui permet de délimiter ce qui est du domaine de compétence du politique, c’est-à-dire ce qui concerne l’ordre public, et ce qui appartient à la sphère privée et qui concerne l’individu et les rapports interindividuels. Dans la réalité historique, les choses ne sont pas si nettes. De plus, cette frontière n’est jamais définitive, puisqu’elle dépend de la volonté politique, qui détermine en dernier ressort la part de chaque sphère. Mais ce qui est certain, c’est que la dialectique entre le privé et le public existe dans toute société politique. L’histoire de l’« Occident » se caractérise par un effort politique pour étendre la sphère privée et garantir un certain nombre de libertés fondamentales, tandis qu’à l’inverse, le totalitarisme a été un effort gigantesque pour effacer la distinction entre l’individuel et le public. Or le privé est aussi indispensable que le public, dans la mesure où il est le lieu des innovations, des transformations et des contestations. On retrouve ici la dynamique conflictuelle qui traverse l’œuvre de Julien Freund. C’est la dialectique entre l’ordre public et le bouillonnement de la sphère privée qui permet qu’une société soit vivante et qu’elle évolue sans cesse.

    Julien Freund a intégré le critère schmittien de la distinction ami-ennemi dans sa théorie politique, en en faisant, non pas le critère du politique, mais seulement un de ses trois présupposés. Cette distinction ne revêt pas tout à fait la même importance existentielle ou métaphysique qu’elle a pu avoir chez l’auteur de La notion de politique, mais l’ennemi reste pour Freund le facteur essentiel de la politique : n’en déplaise aux idéalistes, pour lui « il ne saurait y avoir de politique sans un ennemi réel ou virtuel »6. La distinction ami-ennemi présente l’avantage de n’être pas seulement symbolique, mais d’être surtout concrète et existentielle, c’est-à-dire éminemment politique. Elle signifie que « la guerre est toujours latente, non pas parce qu’elle serait une fin en elle-même ou le but de la politique, mais le recours ultime dans une situation sans issue »7.

    Pour Freund, la nature conflictuelle de la nature humaine constitue un obstacle insurmontable à la constitution d’un État universel. C’est pourquoi on retrouve chez lui une approche réaliste et sociologique des relations internationales qui doit beaucoup à ses maîtres, Carl Schmitt et Raymond Aron. S’il admet que les relations entre les États reposent aussi sur des échanges amicaux, Freund observe qu’elles sont à base de crainte et de volonté de puissance, bien plus qu’elles ne reposent sur des fondements juridiques. C’est pourquoi il estime qu’en cette matière, le droit reste subordonné aux intérêts de la politique. Il se méfiait de l’attitude moraliste qui consiste à croire que l’on pourra mettre fin aux guerres par la voie juridique, tout en supprimant toute contrainte et toute violence. À cet égard, il reprochait à certains juristes de nier, au nom d’un positivisme trop étroit, l’existence de la souveraineté ou de la considérer comme un concept métaphysique ou philosophique.

    En définitive, si l’on relit Freund aujourd’hui, on remarque que, pour l’essentiel, son analyse « classique » des relations internationales n’a pas tellement vieilli, malgré la forte mutation qui a suivi la disparition de l’URSS en 1991. Comme l’observe Pierre de Sénarclens, « malgré le développement des institutions intergouvernementales, des réseaux de solidarité transnationaux, des processus d’intégration régionale et des régimes de coopération sectorielle, la politique internationale garde ses caractéristiques propres. Elle continue de s’inscrire dans un milieu relativement anarchique, marqué par des États d’importance très disparate, dont les sociétés demeurent culturellement et politiquement hétérogènes »8. Elle se caractérise donc toujours par des rapports d’hégémonie des grandes puissances et par « la récurrence de crises et conflits violents que les instances des Nations-Unies ou les organisations internationales ne sont pas en mesure de limiter ou d’arbitrer »9. La « paix par la loi » annoncée par l’abbé de Saint-Pierre, Kant ou Habermas demeure une utopie.

    On ne peut parler de la politique de Freund sans aborder la question du droit, tant ces deux notions sont consubstantielles. Freund défend une conception « sociologique » du droit. En effet, contrairement aux positivistes, qui ne le considèrent que pour lui-même, dans sa pure positivité, Freund pense que le droit ne peut se comprendre que dans sa relation avec les autres activités humaines et notamment avec la politique et la morale. Cette approche sociologique l’a amené à mettre en cause sévèrement le normativisme kelsenien, qui considère que « le droit est un ordre de contrainte », c’est-à-dire qu’en tant que droit, il porte en lui la contrainte. Il est vrai qu’une telle thèse est incompatible avec la notion d’essence du politique. Si, comme le pense Kelsen10, le droit est un ensemble de normes comportant la contrainte en elle-même, la politique est subordonnée au juridique et c’est l’État qui est dérivé du droit et non le contraire. Pour l’auteur de L’essence du politique, le droit est certes normatif et prescriptif, mais « il ne possède pas en lui-même la force d’imposer ou de faire respecter ce qu’il prescrit »11. Le droit présuppose une autorité (politique ou hiérocratique) qui dispose de la contrainte et exécute les sentences. Il est inconcevable sans une contrainte extérieure, sans une autre volonté que celle du juriste.

    La volonté politique précède le droit
    Pour Freund, le droit n’est donc pas une essence, une activité originaire et autonome de l’homme. Il est principalement une dialectique (dans le sens d’une médiation) entre la politique et la morale, c’est-à-dire qu’il présuppose ces deux essences : la morale et la politique doivent avoir été préalablement données pour que la relation juridique puisse naître. Pour le dire autrement, la politique et la morale sont les conditions de possibilité de la relation juridique. D’une manière générale, le droit suppose une volonté politique préexistante, c’est-à-dire une unité politique déjà formée (de ce point de vue, il est incohérent, par exemple, de parler de Constitution européenne alors que l’unité politique européenne n’est pas clairement définie). Mais le droit n’est pas qu’un pur effet de la volonté politique. Il comporte aussi un aspect moral, car il suppose que la société reconnaisse au préalable « un certain ethos ou des valeurs, des fins ou des aspirations qui déterminent sa particularité »12. Ces valeurs et ces fins, c’est le droit qui les inscrit dans l’ordre qu’il régularise.

    Ni le politique, ni la morale ne peuvent donc faire l’économie du droit, qui se situe par sa nature dans l’intervalle qui permet à la politique d’agir sur les mœurs et aux mœurs d’agir sur le politique. En retour, le droit agit aussi sur la morale et sur la volonté politique ; il leur apporte la discipline, la légitimité des institutions et il confère la durée et l’unité politique par son organisation. Sans le droit, il ne pourrait y avoir d’organisation politique durable et la politique ne serait qu’une suite de décisions arbitraires.

    La morale et la politique ne visent pas le même but
    La philosophie de Julien Freund permet de trancher le débat sans cesse renaissant entre la morale et la politique. Il ne s’agit pas pour lui de soustraire la politique au jugement moral ni d’isoler ces deux activités l’une de l’autre, mais seulement de reconnaître qu’elles ne sont pas identiques. La morale et la politique ne visent pas du tout le même but : « La première répond à une exigence intérieure et concerne la rectitude des actes personnels selon les normes du devoir, chacun assumant pleinement la responsabilité de sa propre conduite. La politique, au contraire, répond à une nécessité de la vie sociale et celui qui s’engage dans cette voie entend participer à la prise en charge du destin d’une collectivité »13. Aristote annonçait déjà cela en distinguant la vertu morale de l’homme de bien, qui vise la perfection individuelle, de la vertu civique du citoyen, qui est relative à l’aptitude de commander et d’obéir et vise le salut de la communauté14. Même s’il est souhaitable que l’homme politique soit un homme de bien, il peut aussi ne pas l’être, car il a en charge la communauté politique indépendamment de sa qualité morale.

    Selon Freund, l’identification de la morale et de la politique est même l’une des sources du despotisme et des dictatures15. Elle est un signe de « l’impérialisme du politique », au sens où le politique peut envahir tous les secteurs de la vie humaine, ce qui caractérise les totalitarismes. Comme l’observe Myriam Revault d’Allonnes, le « tout est politique », c’est-à-dire l’abolition de la distinction entre ce qui est politique et ce qui ne l’est pas, entre le privé et le public, entre le politique et le social, signifie aussi bien que rien n’est politique16. La pluralité humaine, condition du vivre-ensemble, s’y est évanouie.

    Sur ce sujet, Julien Freund a su tirer ce qu’il y a de meilleur de Machiavel. Il se définit d’ailleurs comme un penseur machiavélien, apportant toutefois une distinction entre les termes de machiavélien et machiavélique. Le premier terme correspondrait à l’analyse théorique, le second à la pratique de la politique : « Être machiavélien, c’est adopter un style théorique de pensée, sans concessions aux comédies moralisatrices d’un quelconque pouvoir. Ce n’est pas être immoral, mais précisément essayer de déterminer avec la plus grande perspicacité possible la nature des relations entre la morale et la politique […] ; être machiavélique, au contraire, c’est adopter une conduite pratique dans le jeu politique concret, qui consiste en “scélératesses généreuses”, en tromperies plus ou moins diaboliques et en manœuvres perverses »17. Depuis quatre siècles, le penseur florentin a fait l’objet d’interprétations diverses et contradictoires, reflétant finalement l’ambiguïté de sa pensée, qui tient en fait à l’ambiguïté propre à la chose politique elle-même. Est-il, comme le suggère Leo Strauss, un ennemi du genre humain qui a partie liée avec Satan, ou bien est-il, comme le pense Rousseau, un bon et honnête citoyen qui feint de donner des leçons aux rois pour en donner aux peuples ?

    Sans vouloir édulcorer la doctrine de Machiavel, mais en écartant les interprétations les plus machiavéliques, on peut comprendre sa pensée politique dans le sens d’un appel à la vigilance et à la lucidité : une lucidité qui sait qu’elle ne pourra pas faire disparaître la mort, la violence, la méchanceté de l’homme, la division sociale et la corruption des choses ; une vigilance qui appelle à construire des remparts solides, un régime et des lois qui évitent les débordements. C’est là que se situe la morale politique de Machiavel : maintenir l’État, soutenir la force de la loi, prévenir le désordre et la violence, préserver la paix sans laquelle la vie commune est impossible.

    Pour autant, l’auteur du Prince ne nie pas les valeurs morales, il refuse seulement d’y voir le seul critère par lequel juger un homme d’État. La morale du prince est d’accomplir au mieux sa charge politique. Il serait infidèle à une telle morale si, pour préserver sa propre intégrité morale, il laissait sa cité sombrer dans le désordre et son peuple dans la détresse. Julien Freund résume cette position en disant que, pour Machiavel, « il n’y a pas de politique morale, mais il y a une morale de la politique »18. C’est à cette interprétation que correspond la pensée de Freund. Il pense en effet, lui aussi, que « la politique n’a pas pour objet d’accomplir une fin morale, mais la fin du politique, à savoir la paix intérieure et la sécurité intérieure, quitte s’il le faut, à faire des entorses à la morale personnelle »19.

    L’idéologie comme substitut de la théologie
    La grande leçon de Machiavel, c’est aussi cette recherche de la verità effettuale, cette « vérité effective de la chose », qui se refuse à faire de la politique à partir de républiques imaginaires, conçues en rêve et que personne n’a jamais connues. Cette méfiance à l’égard des utopies, cet attachement à la « vérité effective » reflète aussi une volonté de marquer la distance entre l’être et le devoir être, entre l’idéal et ce qui est réalisable, car la recherche à tout prix de l’idéal conduit politiquement à l’échec et souvent à la violence. Freund se réfère aussi souvent au « paradoxe des conséquences » de Max Weber, qui explique qu’en politique il ne suffit pas d’avoir des intentions de départ moralement bonnes, mais qu’il faut éviter de faire des choix aux conséquences fâcheuses. Car « c’est dans l’action que l’homme politique prouve qu’il est moralement à la hauteur de la tâche qu’on lui a confiée »20.

    La distinction opérée par Freund entre la politique et la morale explique sa méfiance à l’égard des idéologies et des utopies. Sa démarche machiavélienne le conduit à considérer l’idéologie de manière paradoxale. D’un côté, il reconnaît son importance dans la politique, non seulement dans la consolidation du pouvoir, mais aussi en tant que promesse et espoir, c’est-à-dire en tant que moteur de la politique. À défaut d’une foi théologique, seule l’idéologie peut permettre d’affirmer une opinion au milieu d’opinions multiples et donc d’établir un ordre politique. L’idéologie jouerait donc un rôle de substitut de la théologie. C’est pourquoi Freund la décrit comme une « rationalisation intellectuelle de la volonté politique »21.

    D’un autre côté, son analyse « réaliste » et « scientifique », l’importance qu’il attache au sens de la responsabilité en politique, encouragent sa méfiance. La politique idéologique lui apparaît alors comme une politique « intellectualisée », qui accorde la priorité à des idées abstraites prétendument généreuses et humanistes, mais qui s’éloigne des réalités concrètes de la politique. Une telle politique est dangereuse en ce qu’elle permet de justifier philosophiquement certaines violences au nom de fins eschatologiques, de promesses de paix ou de justice… C’est ce que Camus appelait la « violence confortable ». L’idéologie prétend atteindre des fins dernières sans se préoccuper des moyens qui sont disponibles. Mieux, elle utilise l’exaltation de ces fins ultimes pour masquer le cynisme qui préside à l’utilisation des moyens. C’est en ce sens que Freund parle d’« eschatologie sécularisée », signifiant par là que l’idéologie fait croire que les fins eschatologiques que la théologie projette dans l’au-delà seraient réalisables ici-bas22.

    Quant aux utopies, c’est leur esprit même qui s’oppose à la notion d’essence du politique. Les premières utopies n’étaient pas des négations de la politique, puisque tout en portant l’espoir d’une société nouvelle, elles reconnaissaient la nécessité d’une organisation de la société. Mais les utopies modernes, notamment sous l’influence du marxisme, ont pris une dimension anti-politique, en se détournant de l’expérience humaine au nom de spéculations imaginaires et fictives sur l’avenir et en pensant pouvoir transformer radicalement l’homme par les institutions. Une telle croyance implique la négation de la nature humaine, et donc son sacrifice. Pure idée abstraite détachée de la réalité, l’utopie est alors exposée aux divagations de la démesure, au despotisme et à la tyrannie. Elle imagine que l’on pourra instaurer une société parfaite et supprimer tout conflit en éliminant ce qu’elle considère comme le négatif ou le mal. Anti-politique, elle se fonde donc sur une négation de l’essence et des présupposés du politique, sur une ignorance ou un refus de la « pesanteur de la nature humaine ».

    Un libéral conservateur insatisfait
    À cette conception progressiste et rationaliste, et, il faut bien le dire, quelque peu naïve de la société, Julien Freund oppose sa théorie des essences, qui repose sur la reconnaissance de la nature fondamentalement conflictuelle des sociétés historiques. Il encouragera d’ailleurs la polémologie, l’étude des conflits, pensant que la sociologie ne doit pas envisager la vie uniquement sous l’angle du désir, c’est-à-dire en fonction d’une société imaginaire, mais qu’il faut aussi tenir compte d’autres notions comme la violence ou l’agressivité23. À la suite de Simmel24, il considère le conflit comme un phénomène social « normal », au sens où il est un phénomène consubstantiel à toute société. Bien entendu, cette prise en compte du conflit détermine une façon de comprendre la société. Elle suppose d’admettre l’idée (sur laquelle repose, rappelons-le, la théorie politique de Freund) selon laquelle l’homme vit naturellement en société. Car le conflit ne devient sociologiquement intelligible que si on conçoit la société comme une donnée de l’existence humaine et comme un ensemble de relations en transformation permanente, le conflit étant un des facteurs de ces modifications.

    Pour conclure, on peut se demander à quel courant politique rattacher Freund. Si on peut le situer, sur le plan méthodologique, dans la lignée des auteurs « machiavéliens »25, on peut s’accorder avec Pierre-André Taguieff pour le classer politiquement (avec toutes les précautions que mérite ce genre de classement) comme « un libéral conservateur insatisfait »26, tant il est vrai que « Freund cumulait en sa personne deux figures paradoxales : celle d’un libéral doté du sens de l’ennemi et celle d’un conservateur refusant le conservatisme borné des “conservateurs” patentés »27.

    Bernard Quesnay  (Éléments n°111, décembre 2003)

     

    Notes :

    1. Julien Freund. L’essence du politique, Sirey, 1965, rééd. : Dalloz ; 2003, postface de Pierre-André Taguieff. Bien qu’elle insiste à notre avis un peu trop sur la relation entre Schmitt et Freund et sur la notion d’ennemi – au détriment d’autres notions essentielles et d’autres penseurs importants pour Freund –, l’importante postface de Taguieff donne une présentation approfondie et honnête de la pensée de l’auteur, tout en redonnant à ce dernier l’importance qu’il mérite en le situant parmi les grands « éducateurs » et les « éclaireurs » du XXe siècle, comme Alain, Ricoeur, Sorel, Valéry, Camus, Cioran, Péguy, Ellul ou Aron…

    2. Julien Freund, op. cit., p. IX.

    3. Ibid., p. 24.

    4. Auteur, notamment, d’un Traité de sociologie générale (Droz, Genève, 1968), Pareto tient une place fondamentale dans la pensée de Freund, qui lui a d’ailleurs consacré un livre (Pareto. La théorie de l’équilibre, Seghers, coll. Philosophie, 1974). Outre sa conception de l’équilibre social, Freund a hérité du sociologue italien l’idée générale selon laquelle, par-delà la forme (la politique), le fond (le politique) demeure constant ; ainsi qu’une certaine méfiance envers les mythes et les utopies, qu’éclaire la distinction paretienne entre les résidus et les dérivations. Sur Pareto, cf. aussi G. Busino, Introduction à une histoire de la sociologie de Pareto ; Cahiers V. Pareto, Droz, 1967 ; G.-H. Bousquet, Pareto, le savant et l’homme, Genève, Payot, 1960 ; Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, 1967).

    5. Julien Freund, op. cit., p. 94.

    6. Ibid., p. 478.

    7. Ibid., p. 446.

    8. P. de Senarclens, Mondialisation, souveraineté et théorie des relations internationales, Armand Colin, 1998, p. 202.

    9. Ibid., p. 202.

    10. Hans Kelsen, Théorie pure du droit, LGDJ, 1999, p. 64. Kelsen (1881-1973), auteur notamment d’une Théorie pure du droit (op. cit.) et de la Théorie générale des normes (PUF, 1996), est à l’origine de l’un des principaux courants du positivisme juridique : le normativisme, selon lequel le droit est un ensemble de normes découlant chacune d’une norme supérieure, jusqu’à remonter à une mystérieuse « norme fondamentale ». Selon cette théorie pure du droit, il est impossible de définir une norme juridique par son contenu, mais seulement par son appartenance à un système de normes. Freund, à la suite de Schmitt, s’est souvent opposé à cette théorie qui débouche sur une identification totale du droit et de l’État.

    11. Julien Freund, Le droit aujourd’hui, PUF, 1972, p. 9.

    12. Julien Freund, op. cit., p. 88.

    13. Julien Freund, Qu’est-ce que la politique ?, préface, Seuil, 1968, rééd. 1978 et 1983, p. 6.

    14. Aristote, La politique, livre III, chap. 4, 1276-b.

    15. Julien Freund, Qu’est-ce que la politique ?, op. cit., préface, p. 6.

    16. Myriam Revault d’Allonnes, Le dépérissement de la politique. Généalogie d’un lieu commun, Aubier-Flammarion, 1999, p. 239.

    17. L’essence du politique, op. cit., p. 818.

    18. Julien Freund, Politique et impolitique, Sirey, 1987, p. 243.

    19. Ibid., p. 243.

    20. Ibid., p. 244.

    21. Julien Freund, « L’idéologie chez Max Weber » in Revue européenne des sciences sociales, 1973, 30, p. 16.

    22. Julien Freund, Politique et impolitique, op. cit., p. 17. Dans le même sens, Aron parlait quant à lui de « religions séculières » et Schmitt de « concepts théologiques sécularisés ». Sur ce sujet, cf. Jean-Claude Monod, La querelle de la sécularisation de Hegel à Blumenberg, Vrin, 2002, et Karl Löwith, Histoire et Salut, Gallimard, 2002 (commentés dans Éléments n° 108).

    23. Rappelons qu’il a fondé à Strasbourg la Faculté des sciences sociales et a créé avec Gaston Bouthoul l’Institut de polémologie et le Laboratoire de sociologie régionale.

    24. Georg Simmel (1858-1918) est un des fondateurs de la sociologie moderne. Il est surtout celui qui a mis en évidence l’apport des conflits dans la vie sociale. Freund a notamment retenu de sa sociologie que, pour structurer une société, il ne faut pas nécessairement éliminer tous les conflits, car ils contribuent aussi à l’équilibre social. Son œuvre connaît un regain d’intérêt depuis une dizaine d’années : cf. notamment Le conflit (Circé Poche, 1995, préface de Julien Freund), Sociologies, Études sur les formes de socialisation (PUF, 1999), La tragédie de la culture et autres essais (Rivages Poche, 1993) ; sur Simmel, cf. aussi François Léger, La pensée de Georg Simmel. Contribution à l’histoire des idées au début du XXe siècle (Kimé, 1989, préface de Julien Freund).

    25. Le terme de « machiavélien » est utilisé, depuis le célèbre ouvrage de James Burnham, Les machiavéliens. Défenseurs de la liberté (Calmann-Lévy, 1949), pour désigner des auteurs aussi divers que Machiavel, Pareto, Weber, Schmitt, Mosca, Michels ou même Aron, qui se livrent à une analyse « réaliste » ou « scientifique » de la politique et se méfient des idéalismes de toute sorte.

    26. Cette notion de libéralisme conservateur, qui reste floue, mais dont l’idée centrale est d’ériger un État politique fort, autonome, qui préserve les libertés des individus dans une société civile libérale, permet d’inscrire Freund dans la lignée de Weber, Schmitt, Pareto et Hayek (cf. notamment Renato Cristi, Le libéralisme conservateur, Trois essais sur Schmitt, Hayek et Hegel, Kimé, 1993).

    27. Pierre-André Taguieff, postface à la réédition de L’essence du Politique, op. cit. .

    Lien permanent Catégories : Textes 0 commentaire Pin it!
  • Le multiculturalisme comme religion politique...

    Les éditions du Cerf viennent de publier un essai de Mathieu Bock-Côté intitulé Le multiculturalisme comme religion politique. Québécois, l'auteur est sociologue et chroniqueur à Radio-Canada et collabore également au Figaro Vox et aux revues Le débat et Commentaire.

     

    Multiculturalisme_Bock-Côté.jpg

    " Le multiculturalisme serait l’alpha et l’oméga de la démocratie, le seul visage possible de la modernité. Mais comment en sommes nous arrivés là ? Comment des intellectuels ont imposé à la France et aux nations occidentales la notion d’« identités particulières », et comment lui ont-ils retiré celle d’« identité commune » ? Qu’est-ce qui se cache derrière le culte de la diversité ?
    Pour Mathieu Bock-Côté, mai 1968 marque le début d’une révolution inventée par une gauche métamorphosée. Constatant l’effondrement du marxisme, elle a inventé l’égalitarisme identitaire. Critique de l’Occident, déconstruction des traditions, invention de l’antiracisme, telles ont été les étapes d’un redoutable projet : la
    confiscation de la démocratie par une minorité.
    S’inspirant des œuvres des plus grands penseurs de la modernité, de Tocqueville à Muray, en passant par Marcel Gauchet, Raymond Aron ou encore Jean-Pierre Le Goff, revenant sur cinquante ans de vie intellectuelle, de la faillite du communisme à la création de la contre-culture, en passant par l’avènement du droit de l’hommisme
    et de l’idéologie antidiscriminatoire, Mathieu Bock-Côté propose le décryptage lucide et sévère d’un autoritarisme qui ne dit pas son nom. "

    Lien permanent Catégories : Livres 1 commentaire Pin it!
  • C'est l'ennemi qui nous désigne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Matthieu Bock-Côté, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la question du conflit et de l'ennemi...

    Québécois, l'auteur est sociologue et chroniqueur à Radio-Canada et est déjà l'auteur de plusieurs essais. Il doit prochainement publier Le multiculturalisme comme religion politique aux éditions du Cerf.

    Islamiste EI.jpg

    Attentats à Paris et à Bruxelles : «C'est l'ennemi qui nous désigne»

    Pendant un bon moment, la figure de Julien Freund (1921-1993) a été oubliée. Il était même absent du Dictionnaire des intellectuels français paru en 1996 au Seuil, sous la direction de Jacques Julliard et Michel Winock, comme si sa contribution à la vie des idées et à la compréhension du monde était insignifiante. Son œuvre n'était pas rééditée depuis 1986. L'ancien résistant devenu philosophe qui refusait les mondanités parisiennes et la vision de la respectabilité idéologique qui les accompagne œuvrait plutôt en solitaire à une réflexion centrée sur la nature du politique, sur la signification profonde de cette sphère de l'activité humaine.

    Son souvenir a pourtant commencé à rejaillir ces dernières années. Après avoir réédité chez Dalloz en 2004 son maître ouvrage, L'essence du politique, Pierre-André Taguieff lui consacrait un petit ouvrage remarquablement informé, Julien Freund: au cœur du politique, à La Table Ronde en 2008. En 2010, certains des meilleurs universitaires français, parmi lesquels Gil Delannoi, Chantal Delsol et Philippe Raynaud, se rassemblaient dans un colloque consacré à son œuvre, dont les actes seront publiés en 2010 chez Berg international. Son œuvre scientifique y était explorée très largement.

    Mais ce sont les événements récents qui nous obligent à redécouvrir une philosophie politique particulièrement utile pour comprendre notre époque. L'intérêt académique que Freund pouvait susciter se transforme en intérêt existentiel, dans une époque marquée par le terrorisme islamiste et le sentiment de plus en plus intime qu'ont les pays occidentaux d'être entraînés dans la spirale régressive de la décadence et de l'impuissance historique. Freund, qui était clairement de sensibilité conservatrice, est un penseur du conflit et de son caractère insurmontable dans les affaires humaines.

    Dans son plus récent ouvrage, Malaise dans la démocratie (Stock, 2016), et dès les premières pages, Jean-Pierre Le Goff nous rappelle ainsi, en se référant directement à Freund, que quoi qu'en pensent les pacifistes qui s'imaginent qu'on peut neutraliser l'inimitié par l'amour et la fraternité, si l'ennemi décide de nous faire la guerre, nous serons en guerre de facto. Selon la formule forte de Freund, «c'est l'ennemi qui vous désigne». C'est aussi en se référant au concept d'ennemi chez Freund qu'Alain Finkielkraut se référait ouvertement à sa pensée dans le numéro de février de La Nef.

    En d'autres mots, Freund ne croyait pas que l'humanité transcenderait un jour la guerre même si d'une époque à l'autre, elle se métamorphosait. Le conflit, selon lui, était constitutif de la pluralité humaine. Et contre le progressisme qui s'imagine pouvoir dissoudre la pluralité humaine dans une forme d'universalisme juridique ou économique et le conflit politique dans le dialogue et l'ouverture à l'autre, Freund rappelait que la guerre était un fait politique insurmontable et que l'accepter ne voulait pas dire pour autant la désirer. C'était une philosophie politique tragique. Mais une philosophie politique sérieuse peut-elle ne pas l'être?

    La scène commence à être connue et Alain Finkielkraut l'évoquait justement dans son entretien de La Nef. Freund l'a racontée dans un beau texte consacré à son directeur de thèse, Raymond Aron. Au moment de sa soutenance de thèse, Freund voit son ancien directeur, Jean Hyppolite, s'opposer à sa vision tragique du politique, en confessant son espoir de voir un jour l'humanité se réconcilier. Le politique, un jour, ne serait plus une affaire de vie et de mort. La guerre serait un moment de l'histoire humaine mais un jour, elle aurait un terme. L'humanité était appelée, tôt ou tard, à la réconciliation finale. Le sens de l'histoire en voudrait ainsi.

    Freund répondra qu'il n'en croyait rien et que si l'ennemi vous désigne, vous le serez malgré vos plus grandes déclarations d'amitié. Dans une ultime protestation, Hyppolite dira qu'il ne lui reste plus qu'à se réfugier dans son jardin. Freund aura pourtant le dernier mot: si l'ennemi le veut vraiment, il ira chercher Jean Hyppolite dans son jardin. Jean Hyppolite répondra terriblement: «dans ce cas, il ne me reste plus qu'à me suicider». Il préférait s'anéantir par fidélité à ses principes plutôt que vivre dans le monde réel, qui exige justement qu'on compose avec lui, en acceptant qu'il ne se laissera jamais absorber par un fantasme irénique.

    La chose est particulièrement éclairante devant l'islamisme qui vient aujourd'hui tuer les Occidentaux dans leurs jardins. Les élites occidentales, avec une obstination suicidaire, s'entêtent à ne pas nommer l'ennemi. Devant des attentats comme ceux de Bruxelles ou de Paris, elles préfèrent s'imaginer une lutte philosophique entre la démocratie et le terrorisme, entre la société ouverte et le fanatisme, entre la civilisation et la barbarie. On oublie pourtant que le terrorisme n'est qu'une arme et qu'on n'est jamais fanatique qu'à partir d'une religion ou idéologie particulière. Ce n'est pas le terrorisme générique qui frappe les villes européennes en leur cœur.

    On peut voir là l'étrange manie des Occidentaux de traduire toutes les réalités sociales et politiques dans une forme d'universalisme radical qui les rend incapables de penser la pluralité humaine et les conflits qu'elle peut engendrer. En se délivrant de l'universalisme radical qui culmine dans la logique des droits de l'homme, les Occidentaux auraient l'impression de commettre un scandale philosophique. La promesse la plus intime de la modernité n'est-elle pas celle de l'avènement du citoyen du monde? Celui qui confessera douter de cette parousie droit-de-l'hommiste sera accusé de complaisance réactionnaire. Ce sera le cas de Freund.

    Un pays incapable de nommer ses ennemis, et qui retourne contre lui la violence qu'on lui inflige, se condamne à une inévitable décadence. C'est ce portrait que donnent les nations européennes lorsqu'elles s'imaginent toujours que l'islamisme trouve sa source dans l'islamophobie et l'exclusion sociale. On n'imagine pas les nations occidentales s'entêter durablement à refuser de particulariser l'ennemi et à ne pas entendre les raisons que donnent les islamistes lorsqu'ils mitraillent Paris ou se font exploser à Bruxelles. À moins qu'elles n'aient justement le réflexe de Jean Hyppolite et préfèrent se laisser mourir plutôt que renoncer à leurs fantasmes?

    Dans La fin de la renaissance, un essai paru en 1980, Freund commentait avec dépit le mauvais sort de la civilisation européenne: «Il y a, malgré une énergie apparente, comme un affadissement de la volonté des populations de l'Europe. Cet amollissement se manifeste dans les domaines les plus divers, par exemple la facilité avec laquelle les Européens acceptent de se laisser culpabiliser, ou bien l'abandon à une jouissance immédiate et capricieuse, […] ou encore les justifications d'une violence terroriste, quand certains intellectuels ne l'approuvent pas directement. Les Européens seraient-ils même encore capables de mener une guerre»?

    On peut voir dans cette dévitalisation le symptôme d'une perte d'identité, comme le suggérait Freund dans Politique et impolitique. «Quels que soient les groupements et la civilisation, quelles que soient les générations et les circonstances, la perte du sentiment d'identité collective est génératrice et amplificatrice de détresse et d'angoisse. Elle est annonciatrice d'une vie indigente et appauvrie et, à la longue, d'une dévitalisation, éventuellement, de la mort d'un peuple ou d'une civilisation. Mais il arrive heureusement que l'identité collective se réfugie aussi dans un sommeil plus ou moins long avec un réveil brutal si, durant ce temps, elle a été trop asservie».

    Le retour à Freund est salutaire pour quiconque veut se délivrer de l'illusion progressiste de la paix perpétuelle et de l'humanité réconciliée. À travers sa méditation sur la violence et la guerre, sur la décadence et l'impuissance politique, sur la pluralité humaine et le rôle vital des identités historiques, Freund permet de jeter un nouveau regard sur l'époque et plus encore, sur les fondements du politique, ceux qu'on ne peut oublier sans se condamner à ne rien comprendre au monde dans lequel nous vivons. Si l'œuvre de Freund trouve aujourd'hui à renaître, c'est qu'elle nous pousse à renouer avec le réel.

    Matthieu Bock-Côté (Figaro Vox, 1er avril 2016)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Radioscopie de ce que l’on sait maintenant des ratés de l’antiterrorisme...

    Nous reproduisons ci-dessous une analyse du criminologue Xavier Raufer, cueillie sur Atlantico et consacré aux ratés des services antiterroristes français...

     

    Francois Hollande_Bataclan_14-novembre-2015.jpg

    Attentat du 13 novembre, deux mois après : radioscopie de ce que l’on sait maintenant des ratés de l’antiterrorisme

    Une police et des militaires épuisés, dont nombre des cadres et chefs n'ont pas eu un jour de repos - fêtes incluses - depuis le 13 novembre ; au front depuis désormais 60 jours. Des acteurs de l'antiterrorisme plus inquiets encore qu'à l'automne passé, à mesure qu'ils réalisent qu'au-delà de nos frontières, l'Union européenne perd le contrôle de ses territoires et frontières.

    Tétanisées, vouées aux bienséances et aux chamailleries, les impuissants de Bruxelles ont vu le tsunami d'un million de "migrants" déferler sur l'Europe. Tel est le niveau "macro" ; au plan "micro", ce fut pire encore, comme le démontre cruellement le cas Abdelhamid Abaaoud.

    Abaaoud, icône jihadie des revues et vidéos sanglantes de l'Etat islamique "cible prioritaire des services antiterroristes européens". Abaaoud, "star" de  "tous les fichiers antiterroristes de tous les pays de l'UE". Abaaoud dont tout magistrat interrogeant un jihadi rentré de Syrie, entend sans cesse le nom.

    Or depuis la Syrie, Abaaoud arpente en 2015 l'Europe de l'île de Leros à Birmingham, via la Grèce, les Balkans, l'Italie, la Hongrie et l'Autriche ; la France bien sûr et la Belgique. Abaaoud jamais repéré en Europe, dont nul ne s'avisera qu'il est là, avant le massacre du 13 novembre.

    Depuis janvier 2015, les acteurs de l'antiterrorisme font face avec acharnement. D'évidence, le criminologue ne leur fait pas la leçon. Bien plutôt aspire-t-il à situer les tragédies de 2015 dans leur perspective géopolitique et profondeur historique ; à ex-poser un champ de bataille dans le cours d'une guerre.

    D'abord, ce fondamental : Pour Raymond Aron, l'essence de l'Etat-nation tient en ceci : "Respecté à l'extérieur, en paix à l'intérieur". Or en 2015, la France subit les pires attentats de son histoire : 150 morts, plus de 300 blessés. Ce respect, cette paix, sont sévèrement atteints : il faut les restaurer au plus vite. Ceci passe par deux phases : comprendre l'échec d'abord, y remédier ensuite. Car, la mission d'un gouvernement (quel qu'il soit) n'est pas de commémorer, mais d'agir en sorte qu'il n'y ait pas de commémorations à faire.

    L'attaque du 13 novembre

    Ce soir là, de 21h20 à 21h53, trois commandos de moudjahidines sèment la mort dans Paris et alentours. Ces neuf (ou dix) terroristes sont dirigés depuis Bruxelles par une "triple coordination" (selon l'enquête belge), qui maintient avec les assassins un constant contact : une énorme opération, préparée des mois durant entre la zone de jihad, la Belgique et la France. L'enquête achevée impliquera sans doute dans l'action une trentaine d'acteurs de tout niveau : logistique, commandos, coordination.

    Issus du quartier bruxellois de Molenbeek, ces moudjahidines sont de jeunes maghrébins français ou belges. Copains de bistrot ou de prison, tous sont fichés comme voyous, repérés comme radicaux.

    Leur opération nécessite trois planques en Belgique, deux (connues) en région parisienne ; la location d'au moins trois véhicules et un transfert d'argent (connu) par mandat télégraphique.

    Avant l'assaut du 13 novembre, et durant l'action, ces "minutieux" mais peu discrets terroristes voyagent et communiquent intensément.

    Du 17 septembre au 14 novembre 2015, deux d'entre eux (dont un "kamikaze" de Paris) échangent 109 appels téléphoniques. Lors de l'attaque, le seul téléphone d'un terroriste dénombre, en quelques heures, 25 appels entre Paris et Bruxelles. du 15 novembre jusqu'à sa mort du surlendemain, Hasna Aït Boulahcen téléphone 248 fois et envoie 310 messages.

    En octobre 2015, Salah Abdeslam achète une dizaine de détonateurs en région parisienne ; de là au 13 novembre, lui et son frère louent des voitures et sillonnent les routes entre Bruxelles et Paris.

    Renseignement préventif : un échec absolu

    En France, en Belgique ou en Europe, rien de cela n'a été repéré, rien n'a été compris, rien n'a été efficacement préventif. Or comme toujours en pareil cas, les signes avant-coureurs abondaient :

    - Février 2009 : suite à un attentat commis au Caire, (une lycéenne française y est tuée) une suspecte extradée en France signale les préparatif d'un attentat visant le Bataclan, salle dont "le patron juif finance l'armée israélienne". Sur quoi une instruction judiciaire est ouverte en juillet 2010. Côté exploitation de renseignement, rien n'en sort.

    - Août 2015, un jihadi rentré de Syrie révèle aux policiers qu'Abaaoud lui a demandé de tirer dans la foule d'un concert de rock. Le Jihadi insiste : "ça va arriver très bientôt... Là-bas, ils cherchent vraiment à frapper en France...".

    - Avant les attaques visant Charlie-Hebdo et l'Hypercacher, Amedy Coulibaly était vu par les chefs du renseignement intérieur comme un petit voyou. Il n'était donc pas surveillé - tâche pourtant aisée, Coulibaly étant sorti de prison en mars 2014 sous bracelet électronique... Le négligé Coulibaly fréquentait cependant depuis 2010 un groupe de fanatiques du nord-est de Paris signalés depuis 2005 et figurait sur la liste américaine TIDE (Terrorist Identities Datamart Environment), de terroristes potentiels américains et étrangers.

    Aveuglement donc - et en prime, des énormités. Voici Samy Amimour, l'un des bouchers du Bataclan. Au printemps 2012, il peut adhérer à... l'Association nationale de tir de la police (ANTP), après qu'on l'ait gentiment initié au tir au pistolet 9 mm. Sous contrôle judiciaire depuis octobre 2012, Amimour, interdit de sortie du territoire, rend ses documents d'identité et pointe au commissariat - mais file en Syrie en septembre 2013, un juge lui ayant restitué son passeport...

    Une riposte à ce jour rétrospective

    Des journalistes complaisants s'émerveillent de ce que "les préparatifs des terroristes et le déroulement des opérations [soient désormais] retracés avec une grande précison". Les criminologues pensent qu'à l'inverse, le problème est là : avoir appris tout ça après le terrible massacre. Car depuis janvier 2015, la réaction officielle : communication de crise, traitement médiatique, réponse policière, état d'urgence, relève, et ne relève que, du registre rétrospectif.

    L'état d'urgence : ce qui remonte du terrain est que perquisitions et assignations à résidence deviennent inefficace en une semaine, application policière de la célèbre loi des rendements décroissants. Comme ces actions ciblent surtout des bandits que la police veut de longue date cravater, et que dans ce milieu darwinien, la courbe d'apprentissage est forcément rapide, tout s'évapore en quelques jours : armes, éléments incriminants, etc.

    Que faire pour demain ?

    Ici, une question s'impose : comment éviter un nouveau 13 novembre ?

    Les acteurs de terrain de l'antiterrorisme savent trop bien que notre millefeuilles antiterroriste est pesant, fragmenté et alourdi depuis l'été 2015 par une couche bureaucratique supplémentaire. Ce dispositif doit être renouvelé, simplifié, rendu rapide et prédictif. Un problème qualitatif, non quantitatif, et nul apport à l'aveuglette d'hommes et d'ordinateurs n'y remédiera.

    Reste le problème des hommes : accumulant les échecs depuis 2012 et Mohamed Merah, l'actuel dispositif antiterroriste est intact à ce jour. A sa tête, les responsables de ces échecs ont été maintenus ou promus. Nulle sanction n'a jamais été prise. Le gouvernement ne touche à rien, de peur sans doute que le ciel ne lui tombe sur la tête.

    60 jours après, où en sommes-nous

    Eviter le prochain massacre dépendra surtout des réponses données aux questions stratégiques que voici.

    - Trois (ou quatre) des terroristes du 13 novembre ne sont toujours pas identifiés. Qui sont-ils ? D'où venaient-ils ? A qui rendaient-ils compte ?

    - Au-delà, des acteurs majeurs du massacre sont en fuite, certains inconnus, comme les deux coordinateurs de l'opération. Où sont-ils, que trament-ils ?

    - Plus largement : sous surveillance, Abaaoud révèle à sa cousine "avoir profité de la vague de migrants arrivés en Europe cet été pour se rendre en France". On l'identifie en septembre 2015 sur l'île grecque de Leros, parmi les migrants. Le 3 octobre, deux des terroristes inconnus du 13 novembre débarquent à Leros parmi une centaine de migrants. Peu après, on apprend que l'Etat islamique "détient d'authentiques passeports [syriens] vierges, qu'il fournit à ceux qui veulent gagner l'espace Schengen".

    Là, le problème révèle son essence - clairement politique. Car hier encore à Bruxelles ou à Paris, des officiels indignés qualifiaient de calomnie xénophobe le risque d'infiltration terroriste dans les flux migratoires. Or telle était la tragique réalité. Ces terroristes infiltrés dotés de passeports syriens, combien sont-ils ? Combattre pour gagner demande une vision réaliste de la menace. Mais le fan-club de la mondialisation heureuse est-il capable de cela? 

    Xavier Raufer (Atlantico, 15 janvier 2016)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Théorie du combat...

    Les éditions Economica viennent de rééditer Théorie du combat, un essai de Clausewitz, préfacé par Thomas Lindemann. Clausewitz est, selon Hervé Coutau-Bégarie, le plus connu de tous les penseurs militaires, et "son oeuvre majeure Vom Kriege est comparable au Prince de Machiavel : c'est une référence constante et obligée, une source inépuisable de citations ".

     

    Théorie du combat.jpg

    " Tout le monde connaît le traité de Clausewitz De la guerre. On sait moins qu’il ne s’agit que du premier volet d’un triptyque qui aurait dû comprendre un traité sur la guérilla et un traité sur la tactique. De ces deux autres volets, n’ont été écrits que des fragments qui n’ont guère attiré l’attention mais qui sont importants tant par leur contribution à la compréhension de la pensée de Clausewitz que par les éclairages originaux qu’ils apportent à la matière traitée.

    Le traité sur la tactique n’a fait l’objet que d’un plan général dont seul le chapitre sur la théorie du combat a été développé. La méthode de Clausewitz y apparaît à l’état pur. Le raisonnement se présente sous forme de propositions logiques qui s’enchaînent mutuellement. L’histoire n’est ensuite appelée qu’à titre d’illustration, elle ne constitue pas le fondement du raisonnement. Une telle approche est difficile et exige une attention soutenue du lecteur. Mais cet effort est récompensé par des aperçus fulgurants sur les finalités du combat, sur les rapports entre l’attaque et la défense, entre l’acte destructeur et l’acte décisif, entre le plan et la direction… Certains passages délicats ou allusifs de De la guerre reçoivent ainsi un nouvel éclairage.

    Raymond Aron a bien dit que la Théorie du combat est un document essentiel pour comprendre la pensée de Clausewitz. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Raymond Aron, penseur machiavélien...

    Nous reproduisons ci-dessous un article remarquable d'Arnaud Imatz, cueilli sur Polémia et consacré à  Raymond Aron comme penseur du politique... L'œuvre de Raymond Aron est énorme, mais on pourra retenir en particulier Penser la guerre, Clausewitz ou Paix et guerre entre les nations...

     

    Raymond-Aron.jpg

    Raymond Aron, penseur machiavélien

    A l’occasion du trentième anniversaire de la disparition de Raymond Aron (1905-1983) les éloges pompeux, grandiloquents, voire dithyrambiques, n’ont pas manqué. « Modèle d’intégrité intellectuelle », « héros d’intelligence »,  « immense talent », « figure majeure de la pensée française du XXe siècle », tels sont les qualificatifs flatteurs qu’on a pu lire sous les plumes des nombreux « spécialistes » et disciples patentés du célèbre philosophe, sociologue et journaliste. Cette emphase, digne des intellectuels des régimes totalitaires (et donc fort peu aronienne), prête à sourire lorsqu’on sait que l’auteur de « L’Opium des intellectuels » se voyait affublé, il n’y a pas si longtemps, des épithètes les plus insultantes. On se souvient de ces légions d’intellectuels dogmatiques (parfois les mêmes), qui imposaient avec fruition l’adage : « Il vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron ». Mais oublions la désagréable compagnie de ces courtisans et opportunistes et félicitons-nous de ces éloges somme toute sans barguigner. Raymond Aron mérite d’être honoré à double titre : d’une part, parce qu’il nous a offert une interprétation magistrale de son époque et cela en pleine période de terrorisme intellectuel et d’intoxication freudo-marxiste et, d’autre part, parce qu’il nous a légué une méthode de recherche et d’analyse de la réalité historique particulièrement utile pour comprendre notre époque.

    On déplorera cependant qu’une grande partie de la bibliographie aronienne soit aujourd’hui tombée dans une vision consensuelle, adaptative, neutraliste et finalement déformatrice de sa pensée. L’objectif de la manœuvre est évidemment clair : présenter un Raymond Aron parfaitement lisse, « politiquement correct », une image acceptable par tous, ou presque, du héraut de la communauté spirituelle internationale de la pensée libérale et sociale-démocrate

    Réalisme machiavélien versus machiavélisme :

    Anticommuniste « sans remords », atlantiste « résolu », Aron est à l’évidence un continuateur de la tradition libérale, minoritaire en France, qui va de Montesquieu à Elie Halévy en passant par Tocqueville. Il se disait même social-démocrate, ou plus exactement keynésien en matière économique. Il acceptait l’économie mixte et une certaine dose d’interventionnisme de l’Etat. Mais son libéralisme politique ne doit pas pour autant se confondre, comme le prétendent certains, avec le réductionnisme économique de l’Ecole autrichienne (von Mises, Hayek), ni avec l’anarcho-capitalisme des libertariens (Rothbard, Hoppe), ni avec le social-libéralisme de Bouglé, ni avec le néo-social démocratisme d’Habermas. Aron se sépare de tous ces auteurs et de leurs écoles de pensée en raison de leur incapacité à comprendre l’autonomie et la légitimité du politique dans l’histoire.

    Le réalisme politique de Raymond Aron, aspect le moins célébré et le moins étudié de ses écrits (trente-cinq livres, plus de deux cents articles scientifiques et d’innombrables articles de journaux), est capital pour ceux qui veulent vraiment comprendre et apprécier l’originalité et la portée de son œuvre. La dimension tragique et pessimiste, clairement assumée, n’est pas chez lui accidentelle ou contingente ; elle est fondamentale voire essentielle. Aron s’est intéressé à Machiavel et au machiavélisme, très tôt, dès le printemps 1937 (1). Avec Montesquieu, Clausewitz, Tocqueville, Pareto, Marx et Weber, Machiavel fut l’un de ses principaux interlocuteurs. Les affinités pour la pensée du Florentin furent chez lui d’abord répulsives en raison de sa formation socialiste, mais bien vite elles se transformèrent en affinités électives. La conversion au machiavélisme politique, face à l’idéalisme ingénu de ses adversaires, date très exactement de la « drôle de guerre ». C’est alors qu’Aron comprend que pour survivre les régimes démocratiques doivent être capables des mêmes vertus politiques que les régimes totalitaires (notamment en matière de politiques sociales et démographiques et de lutte contre le chômage). La nécessité d’un minimum de foi et de volonté commune relève pour lui de l’évidence. Il préconise dès lors de remédier aux défaillances de la démocratie libérale en lui insufflant une dose de décisionnisme. Les valeurs d’une saine religion civile doivent animer impérativement les démocraties libérales. Elles seules sont capables, selon lui, de galvaniser l’esprit public dans une situation de survie nationale.

    L’Espagnol Jerónimo Molina Cano (2), un des plus grands connaisseurs du réalisme politique, souligne que le libéral Aron figure en bonne place dans toutes les généalogies des penseurs machiavéliens. Il écrit justement à ce propos : « On peut extraire des pages des livres que sont Polémiques, L’Homme contre les tyrans, Les guerres en chaîne, Démocratie et totalitarisme ou encore Machiavel et les tyrannies modernes, des affirmations convaincantes sur la primauté du politique, l’impossibilité du choix inconditionnel des moyens de l’action politique, la condition oligarchique de tout régime, l’accidentalité des formes de gouvernement, la corruption inéluctable de tout pouvoir politique, etc ».

    Mais qu’entend-on exactement par réalisme politique ou tradition de pensée machiavélienne (non-machiavélique) de la politique ? Il ne s’agit pas d’une école homogène, ni d’une famille intellectuelle unitaire. C’est seulement un habitus mental, une disposition intellectuelle et un point de vue d’étude ou de recherche qui vise à éclairer les règles que suit la politique. Il suffit de jeter un rapide coup œil sur l’imposante liste des auteurs étudiés par les divers participants au Congrès international, Il realismo politico: temi, figura e prospettive di ricerca (octobre 2013), organisé par Alessandro Campi et la revue de La Società Italiana di Scienza Politica, pour se convaincre de la diversité et de l’importance de cette tradition de pensée (3)

    Le réalisme politique ne se réduit pas à la défense du statu quo ou à la défense de l’ordre établi comme le prétendent ses adversaires. Il n’est pas la doctrine qui justifie la situation des hommes au pouvoir. Il est une méthode d’analyse et de critique de tout pouvoir constitué. Le machiavélisme vulgaire et caricatural n’est au fond que le cynisme des amoureux de la justice abstraite. Le véritable réalisme politique part de l’évidence des faits, mais ne se rend pas devant eux. Il ne se désintéresse pas des fins dernières et se distingue en cela du pseudo-réalisme de type cynique. Le réaliste politique peut être un idéaliste ou tout au moins un homme avec des principes, une morale, une profonde conscience des devoirs et des responsabilités de l’action politique. L’œuvre de Baltazar Gracian, pour ne citer qu’elle, montre que la prudence, la sagesse, l’équilibre, le sens de la responsabilité et la fermeté de caractère sont les clefs du réalisme.

    Raymond Aron s’est toujours démarqué de l’image du machiavéliste cynique, qui réduit la politique à la seule volonté de puissance, au règne et au culte de la force à l’état pur. Il refuse ce machiavélisme vulgaire et caricatural : la conception darwinienne de l’homme, la simple technique de conquête du pouvoir, l’instrument de manipulation du peuple, la manière totalement amorale ou immorale de comprendre la lutte politique.

    Julien Freund, autre penseur machiavélien majeur de langue française de l’après deuxième guerre mondiale, auteur du magistral L’Essence du politique (1965), souligne lui aussi, tout à la fois, l’importance de la finalité propre à la politique, le bien commun (la politique au service de l’homme, la politique dont la mission n’est pas de changer l’homme ou de le rendre meilleur, mais  d’organiser les conditions de la coexistence humaine, de mettre en forme la  collectivité, d’assurer la concorde intérieure et la sécurité extérieure) et la nécessité vitale des finalités non politiques (le bonheur, la justice).

    A dire vrai, le juif-agnostique et libéral classique, Raymond Aron, rédacteur de La France libre à Londres et le catholique, conservateur-libéral, ancien résistant, Julien  Freund, se retrouvent sur un bon nombre de points. Il en est ainsi de l’attachement aux libertés individuelles et au partage du pouvoir, de l’affirmation de la nécessité de l’autorité de l’Etat, de la confiance dans la politique pour maintenir l’ordre social, du refus du dépérissement utopique du politique et du rejet du « Tout est politique » ou du « Tout est idéologie », chemin inévitable du totalitarisme. Pour les deux politologues, l’ordre politique, avec ses nécessités et ses valeurs, ne constitue pas la totalité de l’existence humaine. Scientifiquement, il est impossible de prononcer un jugement catégorique sur la convenance de l’un ou l’autre des régimes en place. Il n’y a pas de régime optimal ou parfait. A leurs yeux la société libérale est une société de conflits, et ces conflits doivent être canalisés, réglementés, institutionnalisés. Ils doivent être résolus autant que possible sans violence. Le conservateur-libéral, Freund, ne se sépare vraiment du libéral politique, Aron, que dans sa critique plus musclée de l’altération du libéralisme : son évolution vers la défiance à l’égard de la politique comme de l’Etat, sa transformation du principe de tolérance en principe de permissivité, son scepticisme à l’égard de l’idée du progrès (alors qu’Aron, sensible aux désillusions du progrès, veut néanmoins encore y croire), sa méfiance des excès de l’individualisme, son incapacité à penser suffisamment l’existence des relations extérieures communautaires et la diversité et l’identité des collectivités humaines. Le manque de vertu civique, d’indépendance et de responsabilité personnelle et la trahison ou la dépolitisation des élites constituent, selon Freund, le problème majeur des démocraties parlementaires modernes.

    Il convient de rappeler ici le fameux dialogue entre le philosophe hégélien, socialiste et pacifiste Jean Hyppolite et Julien Freund. C’était le jour de la soutenance de thèse de Freund (le 26 juin 1965) (4), et le futur professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg articulait sa réflexion autour de trois principes qu’il jugeait constitutifs de la politique : souveraineté/obéissance, public/privé et ami/ennemi. Raymond Aron, directeur de thèse, présidait le jury composé de cinq membres.

    Hyppolite, heurté au plus profond de sa sensibilité et de ses convictions, dit à Freund : « Sur la question de la catégorie de l’ami-ennemi [catégorie que l’on sait tirée des travaux de Carl Schmitt, qui insiste sur le fait que l’essence de la politique n’est pas l’inimitié mais la distinction entre ami et ennemi et qui exclue l’élimination absolue de l’ennemi (nda)] si vous avez vraiment raison, il ne me reste plus qu’à aller cultiver mon jardin. »

    Freund réplique : « Ecoutez, Monsieur Hyppolite, vous avez dit […] que vous aviez commis une erreur à propos de Kelsen. Je crois que vous êtes en train de commettre une autre erreur, car vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitiés. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin ».

    Hyppolite, agacé, répond alors de façon pathétique : « Dans ce cas, il ne me reste plus qu’à me suicider. »

    Et Raymond Aron de conclure: « Votre position est dramatique et typique de nombreux professeurs. Vous préférez vous anéantir plutôt que de reconnaître que la politique réelle obéit à des règles qui ne correspondent pas à vos normes idéales ».

    Ces mots résument assez bien le thème de cet article. Mais pour être mieux compris, encore faut-il tenter de dresser le catalogue des points qui relient Aron à la tradition machiavélienne.

    Aron et les principales idées de la tradition machiavélienne :

    Sept repères peuvent être indiqués :

    1. L’idée de l’existence d’une nature humaine.  L’étude de la politique ne peut pas faire l’économie d’une vision de l’homme. « L’homme est dans l’histoire. L’homme est historique. L’homme est histoire », nous dit Aron. La nature humaine demeure inaltérable dans le temps. Les pulsions humaines expliquent en partie le caractère instable des institutions politiques et le caractère conflictuel de la politique. Il peut y avoir des phases exceptionnelles d’équilibre relativement satisfaisant de l’ordre politique, mais la stabilité définitive, la fin de l’Histoire, relève du rêve, de l’utopie, de la mystification ou de la manipulation idéologique.

    2. L’affirmation de l’autonomie du politique voire de la relative suprématie de la politique sur les autres sphères de l’activité humaine (économie, culture, morale, religion). Aron ne prétend pas substituer un déterminisme par un autre, mais reconnaître que la politique est plus importante que les autres activités parce qu’elle affecte directement le sens de l’existence. Elle est la caractéristique fondamentale d’une collectivité, la condition essentielle de la coopération entre les hommes. Aron proclame, en outre, la primauté de  la politique extérieure sur la politique intérieure. Il ne s’agit pas chez lui de préférer le bien commun à la puissance ou la gloire, mais de comprendre que la puissance est la condition du bien commun.

    3. Le caractère inévitable de la classe politique, de l’oligarchie et de la division gouvernants-gouvernés.  Aron, comme toute une pléiade d’auteurs aux sensibilités très différentes, tels Carlyle, Ostrogorsky, Spengler, Schmitt, Weber, Madariaga, Vegas Latapie, Evola, Duguit, De Man ou Laski, sait les limites et le caractère nettement oligarchique de la démocratie parlementaire. Pareto, Mosca, Michels ont souligné l’existence d’une véritable loi d’airain de l’oligarchie. De manière tout aussi explicite, le philosophe politique Gonzalo Fernández de la Mora parle de « démocratie résiduelle », se résumant, selon lui, à l’opportunité que les oligarchies partitocratiques offrent aux gouvernés de se prononcer sur une option, généralement limitée, après avoir procédé à une opération d’ « information » de l’opinion publique (5)

    5. La reconnaissance de la nature intrinsèquement conflictuelle de la politique. La vie sera toujours le théâtre de conflits et de différences. Les passions, la multiplicité des fins, le choix des moyens disponibles, etc., sont le fondement d’une perpétuelle dialectique universelle. Imaginer un monde politique sans adversaires, sans tensions, sans conflits, c’est comme se représenter une morale sans la présence du mal ou une esthétique sans laideur. La politique au sens traditionnel est la grande « neutralisatrice » des conflits. Voilà pourquoi la résistance systématique à toute forme de pouvoir peut constituer une excellente méthode pour accélérer la corruption du pouvoir et entraîner sa substitution par d’autres formes de pouvoir beaucoup plus problématiques et despotiques. Enfin, ce n’est pas parce qu’un peuple perd la force ou la volonté de survivre ou de s’affirmer dans la sphère politique que la politique va disparaître du monde. Qui peut croire qu’à défaut de la persistance des anciennes nations de nouveaux groupes de peuples ne se formeront pas et ne tendront pas à s’exclure réciproquement ? Le mondialisme, débilité intellectuelle, est le propre des ignorants du passé de l’humanité.  L’histoire n’est pas tendre… malheur au fort qui devient faible !

    6. Le rejet de toute interprétation mono-causale de la politique comme partiale et arbitraire. Les explications mono-causales « en dernière instance » par l’économie, par la politique, par la culture, par la morale, etc., n’ont aucun sens. Aron refuse sans la moindre ambiguïté de subordonner la politique à l’économie. Selon lui, la politique n’est jamais réductible à l’économie, bien que la lutte pour la possession du pouvoir soit liée de multiples manières au mode de production et à la répartition des richesses. La surestimation de l’économie est l’erreur radicale, la mystification majeure d’Auguste Comte, de Karl Marx et de tant de philosophes et économistes modernes. Aron nie que les régimes d’économie dirigée soient la cause des tyrannies politiques. La planification et la tyrannie ont souvent une origine commune, mais la semi-planification ou la planification indicative ne conduisent pas nécessairement à la planification totale et à la tyrannie comme le prétendent Hayek et les ultralibéraux de l’Ecole autrichienne. L’expérience de l’histoire (Espagne de Franco, Chili de Pinochet, République populaire de Chine actuelle, etc.) montre qu’il n’existe pas de lien causal nécessaire entre un type d’économie et un régime politique déterminé.

    7. Le scepticisme en matière de formes de gouvernement. Aron s’affirme libéral politique, mais il reconnaît la pluralité des régimes politiques, chacun conçu comme une solution contingente et singulière, comme une réponse transitoire à l’éternel problème du politique. Tous les régimes sont par ailleurs également soumis à l’usure du temps et à la corruption. Aron est enfin plutôt indifférent, sinon hostile, au clivage gauche-droite. Dans la Préface à L’Opium des intellectuels, il écrit : « On n’apportera quelque clarté dans la confusion des querelles françaises qu’en rejetant ces concepts équivoques [de droite et de gauche] ». On sait d’ailleurs qu’Aron appréciait La Révolte des masses, de José Ortega y  Gasset, et faisait grand cas de son célèbre aphorisme : « Être de gauche ou être de droite c’est choisir une des innombrables manières qui s’offrent à l’homme d’être un imbécile ; toutes deux, en effet, sont des formes d’hémiplégie morale ».

    Arrivé à ce point de la démonstration, il n’est peut être pas inutile d’esquisser une seconde comparaison, un second rapprochement, plus inattendu, mais tout aussi valable, celui du libéral politique Aron et du national-libéral, conservateur résolu, que fut Jules Monnerot. Monnerot, le grand censuré, honni et exclus de l’Université française, l’auteur génial de Sociologie du communisme (1949) et de Sociologie de la Révolution (1969), le résistant, l’activiste de la deuxième guerre mondiale, le premier franc-tireur intellectuel important contre la politique eschatologique, contre les religions totalitaires du salut collectif, Monnerot, l’esprit libre et indépendant, qui fut du petit nombre de ceux qui représentèrent dignement la philosophie et la sociologie politique de langue française dans les années 1945-1960, Monnerot, la bête noire « fasciste » des marxistes, crypto-marxistes et gauchistes, parce qu’il dénonça trop tôt l’essence religieuse du communisme et fut ensuite un précurseur de la dissidence contre « la pensée unique » et le multiculturalisme de la fin du XXe siècle. Comparer Aron et Monnerot, alors que le premier, professeur à la Sorbonne et au Collège de France, s’est toujours gardé de citer le second, conscient qu’il était de n’avoir pas la force de briser le terrible cordon sanitaire dressé autour de son collègue (?), comparer deux figures aussi inégales en réputation académique et médiatique (?), voilà de quoi offusquer les mandarins et autres gardiens du temple. Et pourtant, Monnerot, victime de la censure mais bon prince et surtout bien plus tolérant que ses censeurs, ne déclarait-il pas encore quelques années avant de mourir : « La pensée occidentale n’admet pas ce qui doit entraîner la suppression intellectuelle, voire physique, du réfractaire à la vérité… la pensée occidentale admet une sorte de pluralisme et de perspectivisme – c’est d’ailleurs la lignée intellectuelle à laquelle on peut me rattacher (6) » ?

    Les atteintes à la liberté d’expression, la censure, sont à l’évidence de tous les lieux et de toutes les époques. Au sein de l’Université française, la fréquentation affichée de certains auteurs a toujours attiré les foudres, le reproche moraliste et finalement l’ostracisme actif du coupable. Mais les universitaires qui avaient vingt ans en 1968 et qui n’étaient pas aveuglés par l’idéologie savent combien les intellectuels non conformistes, ouvertement opposés à la doxa freudo-marxiste, devaient alors savoir faire preuve de détermination et de courage (7)

    On comprend d’autant mieux la bienveillance et le respect que professent les esprits indépendants de ma génération pour les maîtres d’hygiène intellectuelle que sont les réalistes politiques (machiavéliens, antimachiavéliques) Raymond Aron, Julien Freund et Jules Monnerot. Aron, pour ne citer ici que lui, nous donna deux dernières leçons de rigueur et de probité à la veille de sa disparition. A l’occasion de la publication de L’Idéologie française, de Bernard-Henri Lévy, il n’hésita pas à écrire que l’auteur « viole toutes les règles de l’interprétation honnête et de la méthode historique » (Express, février 1981). Deux ans plus tard, le 17 octobre 1983, il témoigna en faveur de son ami Bertrand de Jouvenel contre l’historien israélien Zeev Sternhell qui prétendait que l’auteur de Du Pouvoir avait manifesté des sympathies pro-nazies en tant que théoricien majeur du fascisme français. A la barre, il dénonça de sa voix ferme « l’amalgame au nom de la vérité historique ». Puis, sortant du Palais de justice de Paris, il prononça ces derniers mots : « Je crois que je suis arrivé à dire l’essentiel », avant de s’éteindre terrassé par une crise cardiaque. Ces déclarations ne sauraient s’oublier !

    Pour Jerónimo Molina Cano, spécialiste du machiavélisme aronien, le réalisme politique du fondateur de la revue Commentaire constitue la voie de connaissance la plus adéquate pour explorer la « verita effetuale della cosa ». Ajoutons, pour notre part, que Raymond Aron, ex-président de l’Académie des sciences morales et politiques de France, n’était pas seulement un brillant intellectuel, mais d’abord et avant tout un homme, tout un Homme, « todo un caballero », comme disent les Espagnols.

    Arnaud Imatz (Polémia, 16 janvier 2014)

    Notes  :

    1)   Par une curieuse coïncidence, l’année 2013 a été marquée à la fois par la célébration du 500eanniversaire du Prince de Nicolas Machiavel (avec une exposition Il Principe di Machiavello e il suo tempo 1513-2013 (Rome, avril-juin 2013) et par le 30e anniversaire  de la mort de l’un de ses lecteurs et commentateurs majeurs, Raymond Aron (célébré le 17 octobre 2013)

    2)   Jerónimo Molina Cano, Raymond Aron, realista político. Del maquiavelismo a la crítica de las religiones seculares, Madrid, Ediciones Sequitur, 2013. Professeur de sociologie et de politique sociale à l’Université de Murcie, directeur de la revue Empresas Políticas, Molina Cano est un disciple du politologue Dalmacio Negro Pavón, professeur à l’Université Complutense et à l’Université CEU San Pablo de Madrid.

    3)   Les précurseurs de cette école de pensée sont Han Fei Zi, Thucydide, Aristote, Kautilya (Chânakya), Ibn Khaldoun, Nicolas Machiavel, Gabriel Naudé, Hobbes, Tocqueville. Parmi ses figures contemporaines ou modernes les plus représentatives on peut citer : Raymond Aron, Gaston Bouthoul, Jacob Burckhardt, James Burnham, Filippo Burzio, Federico Chabod, Benedetto Croce, Gonzalo Fernández de la Mora, Julien Freund, Paul Gottfried, Bertrand de Jouvenel, Günter Maschke, H. J. Mackinder, John Mearsheimer, Robert Michels, Gianfranco Miglio, Jules Monnerot, Gaetano Mosca, Dalmacio Negro Pavón, Reinhold Niebuhr, Michael Oakeshott, Vilfredo Pareto, Paul Piccone, Giuseppe Rensi, Giovanni Sartori, Carl Schmitt, Nicholas J. Spykman, Leo Strauss, Piet Tommissen, Gioacchino Volpe, Eric Voegelin, Max Weber et Simone Weil.

    4)   Ce dialogue est cité dans les livres de Jerónimo Molina, Julien Freund, lo político y la política, Madrid, Sequitur, 2000, Sébastien de la Touanne, Julien Freund, penseur « machiavélien » de la politique, Paris, L’Harmattan, 2005 et P.-A. Taguieff, Julien Freund. Au cœur du politique, Paris, La Table Ronde, 2008.

    5)  Gonzalo Fernández de la Mora, La partitocracia (La particratie), Madrid, Instituto de Estudios Politicos, 1977.

    6)  Entretien de Jules Monnerot avec Jean-José Marchand pour Les archives du XXe siècle de la Télévision française, 1988.

    7)  Par curiosité, j’ai exhumé les vieilles éditions des manuels d’Histoire des idées politiques de Touchard et de Prélot, que j’utilisais à la veille de ma soutenance de thèse de doctorat d’Etat, en 1975. Il n’y est fait mention ni de Monnerot, ni de Freund !

    Lien permanent Catégories : Textes 0 commentaire Pin it!